HISTORIQUE DE L'ABBAYE DE JONCELS


Par l'Abbé Gérard Alzieu
St Guilhem le Désert 34510 Gignac

 

HISTORIQUE DE L'ABBAYE DE JONCELSjoncels
Première partie: du 9e au 13e siècle
cloche

 


L'histoire de l'abbaye de Joncels est mal connue. Aucun ouvrage ne lui a été consacré. Son cartulaire est perdu, et très peu de documents la concernant sont parvenus jusqu'à nous. Pour tant cette institution religieuse a eu une existence presque millénaire et elle a marqué fortement la vie civile et religieuse des populations du bassin supérieur de l'Orb. C'est pourquoi je me propose de donner ici une esquisse de l'histoire mouvementée de cet ancien monastère, laissant à d'autres le soin de nous donner une étude plus fournie de la question.

Fondation

La date et les circonstances de la fondation de ce monastère sont inconnues. Un acte, qui nous a été conservé par Baluze dans ses Capitulaires Royaux (Tome II. col.1393), mal daté et mal interprété, est à l'origine d'affirmations erronées quant à la fondation et aux premiers temps de cette abbaye. C'est Baluze lui-même qui est cause de cette erreur, reprise par les auteurs de la Gallia Christiana (Tome VI col. 398) et par la plupart des historiens postérieurs, sans en excepter les auteurs de l'histoire de Languedoc (Tome I p.948) avec cependant une note dubitative : on prétend, mais sans chercher à élucider la question. Ce sont les nouveaux éditeurs de l'histoire de Languedoc (édition Privat) qui ont remis les choses au point (Tome IV p.485), mais l'habitude étant prise, on continue encore aujourd'hui de redire la même chose (cf. Secondy, les églises de l'ancien diocèse de Béziers p. 944).

Le texte en question est daté de l'an XVI du règne de Pépin (anno XV! Pippini regis). L'erreur de Baluze et de tous ceux qui l'ont suivi est d'avoir attribué cet acte à Pépin le Bref et donc à l'année 768. De plus on a traduit les mots "restrueremus" et "augeremus" par reconstruire de fond en comble un édifice précédemment ruiné : d'où la conclusion de la Gallia a Saracenis destructum etc. détruit par les Sarrazins, le roi Pépin, à la prière de l'abbé Benoît, rétablit ce monastère.. Il est à remarquer que les Sarrazins ne sont pas nommés dans le texte et que l'on ne dit même pas que le monastère a été détruit; il y est seulement question de reconstruction et d'agrandissement, ce qui peut se comprendre par le fait, alors courant, qu'après des débuts modestes, le monastère fut agrandi ou même reconstruit sur de plus amples dimensions ce fut le cas des monastères contemporains d'Aniane et de Gellone. D'ailleurs, un peu plus loin dans le texte, le roi déclare accéder à la de mande de l'abbé Benoît, et pour que le monastère soit établi dans de meilleurs conditions "ad ,nelio raizdunz locum" il lui fait donation d'une vaste étendue de terre et il le prend sous la protection royale.

A la vérité, comme l'indique la note 93 de l'édition Privat de l'Histoire de Languedoc (Tome IV p. 485), c'est de Pépin II, roi d'Aquitaine qu'il s'agit et l'acte date donc de l'an 851. Mais, là encore, les auteurs continuent de parler de la destruction du monastère par les Sarrazins, ce qui montre que les légendes ont la vie dure : en effet, il n'y a plus eu d'incursion sarrazine dans notre région depuis celle de 793 repoussée par saint Guilhem, alors comte de Toulouse.

Essayons maintenant de voir comment les choses se sont passées quant à la date et aux circonstances de la fondation de notre abbaye. C'est certainement au puissant mouvement de réforme monastique, inauguré par saint Benoit à la fin du 11 siècle, qu'il faut faire remonter la fondation de Joncels. Saint Benoit lui-même établit une douzaine de monastères dépendant de l'abbaye-mère d'Aniane dont Gellone (Saint-Guilhem le Désert) et Celleneuve (commune de Montpellier) dans notre département. Mais il ne fut pas le seul à oeuvrer à cette entreprise de diffusion de la vie monastique dans le royaume d'Aquitaine, jusque là très pauvre en ce domaine: il eut des disciples et émules tels Attilio, fondateur de Saint-Thibéry, et Nébridius de Lagrasse. Pour d'autres, nous ne savons pas le nom du fondateur: c'est le cas de Villemagne et de Joncels.

Un décret de l'empereur Louis-le-Pieux, annexé aux actes du concile monastique d'Aix-la- Chapelle de 817, nomme le monastère de Joncels parmi ceux qui sont exempts de contributions en vers le roi: en 819, date de ce décret, notre monastère existait déjà; ce qui nous autorise à penser que sa fondation se situe aux alentours de l'an 800. Ce ne fut pas une fondation royale à l'origine, c'est-à-dire faite sous la protection et avec l'aide du roi, mais une fondation privée faite par de pieux fidèles appartenant sans doute à l'aristocratie locale.. Cependant, par le privilège de 851, le roi Pépin II d'Aquitaine, en prenant le monastère et ses appartenances sous la protection royale, lui conférait le privilège fort envié "d'abbaye royal"'. Aux possessions primitives, le roi ajoutait un vaste territoire qui, disait-il, " permettrait aux moines de faire face aux besoins accrus de la communauté "; il permettait à l'abbé Benoit de reconstruire le monastère sur de plus vastes proportions et conférait à la communauté la faculté, alors si recherchée, d'élire librement son abbé. En somme, ce privilège royal équivalait à une charte de fondation. Par la suite, les successeurs de Pépin II, Charles le Chauve et Odon, confirmeront cet acte et prendront à leur tour le monastère sous leur protection.

Ces privilèges royaux nous font connaître les noms des abbés qui régissaient l'abbaye à l'époque de leur émission: Benoit en 851, sous Pépin II, Fructueux (Fructuosus) à une date inconnue sous Charles le Chauve (840-877) , et Audegaire (Audegarius) sous Odon en 890. D'après le privilège d'Odon, ces trois abbés se sont succédé, mais il y en eut avant Benoit, puisque l'acte parle de leurs prédécesseurs mais sans les nommer. Ainsi, après des débuts modestes, l'abbaye de Joncels prenait une place plus importante dans la haute vallée de l'Orb.

Au point de vue administratif, elle était située dans les limites de la viguerie carolingienne de Lunas, d'où le nom qui lui est parfois donné de Saint-Pierre de Lunas. Mais il est à remarquer que dans l'acte le plus ancien parvenu jusqu'à nous, le privilège de Pépin II, elle est uniquement nommée "monastère Saint-Pierre de Joncels", ce qui contredit l'affirmation de la note 93 du tome IV de l'histoire de Languedoc (p. 485) selon laquelle le nom primitif était Saint-Pierre de Lunas et que ce n'est qu'à partir de la donation du territoire de Joncels par le roi d'Aquitaine qu'elle prit le nom de Saint-Pierre de Joncels. Elle était dédiée à l'apôtre Pierre sous le titre liturgique de "Saint-Pierre aux Liens" dont la fête se célébrait le 1er août.

Le privilège du roi Odon, publié également par Baluze dans ses Capitulaires Royaux (Tome II, col. 1519-1520) est intéressant à plus d'un titre. Le roi commence par confirmer les privilèges de ses prédécesseurs Pépin et Charles et, à son tour, il prend l'abbaye et toutes ses appartenances, avec les moines et les populations qui y résident, sous sa protection. Il interdit à quelque autorité que ce soit, politique ou judiciaire, de s'ingérer dans l'administration des territoires soumis à l'abbaye: c'est lui reconnaître la pleine seigneurie avec l'exercice de la justice sur ses domaines; elle entre par là dans le système féodal en train de se former. Et pour preuve de sa bienveillance, le roi lui donne l'église Saint-Julien de Tauriac, au diocèse de Rodez, avec toutes ses appartenances. La donation d'églises aux moines avec tous leurs revenus était une faveur très recherchée: nous verrons plus loin que l'abbaye de Joncels fut particulièrement riche en ce domaine. Parmi les privilèges de l'abbaye, confirmés par le roi, figure l'élection libre de l'abbé, condition d'indépendance des moines vis-à-vis des puissances temporelles; privilège précieux mais fragile, car les féodaux, surtout à cette époque, avides des biens d'eglise, avaient trop tendance à intervenir dans les élections abbatiales et de les confisquer à leur profit.

Dans la dépendance de Psalmodi.

Par un privilège du roi des Francs Charles le Simple, daté de l'an 909, en faveur de l'abbaye de Psalmodi (commune de Saint-Laurent d'Aigouze, dans le Gard), nous apprenons que Raimbaud (Regembaldus) son abbé, est en même temps abbé de Joncels (G.C..V1, col. 171). Mais comme d'autres documents postérieurs évoquent cette union jusqu'à l'année 1139 où elle prit fin, il faut bien en conclure qu s'agit d'une union permanente voulue ou entérinée par l'autorité ecclésiastique. Ces sortes d'union ne sont pas rares à cette époque, et elles vont se multiplier par la suite. Il se crée même ce que l'on a appelé des congrégations monastiques" autour de monastères importants ou renommés pour leurs observances. Cluny, fondé en 910, va devenir le centre de la plus importante congrégation monastique que le Moyen-Age ait connu. Dans notre région, Saint-Pons de Thomières, fondé en 936, réunira sous sa houlette une dizaine de monastères. En dehors d'un grand nombre de prieurés dépendant de Psalmodi, nous ne connaissons que la seule abbaye de Joncels à lui avoir été unie. Pour quelle raison cette union a-t-elle été réalisée et par qui? Nous l'ignorons totalement. Il est bien certain que cela n'a pu se faire sans l'assentiment de l'évêque de Béziers duquel le monastère relevait; nous verrons plus loin que c'est par son action persévérante qu'elle cessera. Est-ce pour une question de discipline, ce qui était souvent le cas, afin de rétablir l'observance monastique qui s'était relâchée? Je pencherai plutôt pour une autre raison que l'on pourrait inférer du privilège royal lui-même. A cette époque, les bâtiments monastiques de Psalmodi sont en ruine, à la suite d'une incursion de pirates sarrazins: les moines ont dû se retirer plus à l'intérieur des terres, près de Lunel. Il faudra attendre que le rivage méditerranéen devienne sûr pour que le monastère soit reconstruit à son emplacement initial: dans cette conjoncture malheureuse, Joncels n'aurait-il pas été comme une base de repli en cas de danger ? Puis le danger écarté l'union se serait maintenue vaille que vaille jusqu'à ce que la séparation définitive soit approuvée par le Saint-Siége.

Durant cette période de plus de deux siècles, Joncels sera régie, tantôt par l'abbé de Psalmodi qui cumulera alors les deux titres, tantôt par des abbés particuliers. Ainsi Guitard est désigné comme abbé de Psalmodi et de Joncels dans un acte d'un pape du nom d'Etienne, Etienne VII (928.- 931) d'après Mabillon (G.C.VI, coI, 399); Garnier, qui fut abbé de Psalmodi de 1004 à 1025, est également nommé abbé de Joncels dans un acte rapporté également par la Gallia Christiana ( VI, col. 399); Arnaud est nommé abbé de Psalmodi et de Joncels dans un acte de donation de 1086 (G.C. VI, col. 474), et sans doute plusieurs autres abbés de Psalmodi exercèrent-ils l'abbatiat à Joncels. Mais Joncels eut également des abbés particuliers, sans que l'union soit pour autant rompue. Ainsi Etienne fut-il établi abbé de Joncels par Saint Fulcran lorsqu'il réintégra les moines dans leur monastère dont ils avaient été chassés par les seigneurs voisins (vers 980). Aux alentours de l'année 1070, Pons Eble, ancien doyen de l'abbaye de Gellone, présidait aux destinées de l'abbaye de Joncels.

L'événement majeur de cette période, c'est le rétablissement des moines dans leur abbaye. L'auteur anonyme de la première vie de Saint Fulcran, évêque de Lodève se contente de dire: "il acquit avec beaucoup de peine le monastère de Pierre, le prince des apôtres, et rétablit de fond en comble tout ce qui avait été dispersé et renversé. Il y plaça des hommes éprouvés et chassa les indignes; il y établit un abbé excellent et capable auquel il donna beaucoup de biens" (cf. Une nouvelle vie de saint Fuicran de Lodève, dans Etudes sur l'Hérault, année 1988; p. 59 XII). Bernard Gui, le savant évêque de Lodève, dans sa vie de Saint Fulcran écrite au début du XIVe siècle, est plus explicite: "il racheta le monastère de Joncels, voisin de son siège épiscopal, fondé en l'honneur de saint Pierre et de tous les saints, des mains des hommes malfaisants qui, à cette époque peuplaient la terre; avec beaucoup de soins et de peine il répara tout ce qui avait été détruit et renversé et il extirpa tout ce qui pouvait être nuisible à sa bonne marche. Avant chassé les moines sarabaïtes (sybarites) et les avant remplacés par de bons religieux, il leur proposa pour père un homme du nom d'Etienne, énergique et pieux et le leur donna pour abbé: c'est parce qu'il avait embrassé la vie monastique que Fulcran l'aima beaucoup et pour preuve de son affection il combla son monastère de biens multiples et de possessions importantes". (G.C. VI, col. 399).

Bernard Gui nous donne la raison pour laquelle le monastère de Joncels était tombé dans une telle décadence: ' des hommes malfaisants peuplaient la terre à cette époque". C'est l'historien qui parle ici: avec la naissance de la féodalité, les biens de l'Eglise étaient convoités par les puissants, et avec la mainmise des seigneurs laïques sur les institutions ecclésiastiques, c'était la décadence et la ruine. Saint Fulcran libéra Joncels de l'emprise des puissances laïques et rétablit la discipline dans la communauté en chassant les moines sybarites, c'est-à-dire relâchés, et en les remplaçant par des moines fidèles à la règle. Etienne qu'il leur donna pour abbé, était un de ses familiers: la vie primitive nous le montre accompagnant le saint évêque dans ses voyages fréquents en Auvergne pour des pèlerinages ou des consécrations d'églises. Quant aux biens dont il dota le monastère, ils sont énumérés pour la plupart dans son testament qui fut d'ailleurs rédigé par l'abbé Etienne (G.C. VI instr. col. 272).

Mais la sujétion à l'abbaye de Psalmodi pesait aux moines de Joncels dont le monastère était devenu très florissant, comme nous allons le voir. Ils mirent tout en oeuvre pour s'en affranchir et y réussirent. Une première tentative eut lieu, semble-t-il, sous le pontificat de Grégoire VII (1073- 1085), le pape de la réforme de l'Eglise à laquelle on a donné son nom et qui peut se résumer ainsi: liberté pour les institutions ecclésiastiques qui doivent fonctionner selon les règles canoniques. Par une bulle fort circonstanciée, le pape prend l'abbaye sous sa protection et l'exempte de toute autorité étrangère tant laïque qu'ecclésiastique: "nous déclarons qu'il (le monastère) doit être libre de toute domination séculière.., et nous établissons fermement qu'aucun roi ou empereur; qu'aucun évêque et que personne d'autre constitué en dignité ne pourra troubler la libre possession de ses biens". La libre élection de l'abbé par la communauté est confirmée; le droit d'appel au Saint-Siège en cas de conflit, recommandé. Nous ne savons pas quel fut l'impact de cette bulle; mais si l'abbaye réussit, à cette époque, à se libérer de la tutelle de Psalmodi, elle y retomba par la suite. En effet, en 1099 le pape Urbain II, et en 1115 le pape Pascal II dans leurs bulles en faveur de Psalmodi énumérèrent en premier lieu parmi les possessions de l'abbaye gardoise le monastère de Joncels et le château de Lunas "in teirotom Biterrensi castnun de Lunate et monasteriumn de Juncellis".

Mais au mois de juin 1115 mourut Foulques, abbé de Psalmodi et de Joncels. II semble bien que les moines de cette dernière abbaye profitèrent de la vacance du siège abbatial pour élire un abbé particulier du nom de Bérenger. Celui-ci s'adressa immédiatement à son supérieur religieux, l'évêque de Béziers Arnaud, pour lui demander d'intervenir en faveur de l'indépendance de son monastère. Arnaud provoqua une réunion composée de dignitaires ecclésiastiques, évêques et abbés, représentant les deux parties; chacune produisit ses preuves, privilèges royaux et bulles pontificales, et l'évêque trancha en faveur de Joncels. Mais ne voulant pas exposer sa sentence à la contradiction, il eut recours à l'autorité supérieure du Saint-Siège pour confirmation. Tout cela nous est connu par une lettre d'Arnaud, devenu archevêque de Narbonne, qui doit être datée des années 1121-1129 (G.C. VI instr. col. 134). La bulle du pape Innocent II ne vint qu'en 1139. Elle mettait fin à la sujétion de Joncels à Psalmodi. Le pontife déclare que sa décision est irrévocable (sentencia deffinitiva), et il impose silence à l'avenir aux deux parties concernant cette affaire (silentium perpe tuum proesenti sanctione imponimus). L'abbaye de Joncels est confirmée dans ses possessions et ses privilèges, notamment la libre élection de son abbé (G.C. VI instr. col. 136). Mais nous voyons que Psalmodi ne s'accommoda pas de gaieté de coeur de la perte de Joncels puisque la Gallia Christiana indique que deux autres bulles ont été données par les papes Lucius III en 1184 et Clément IV en 1267 concernant la même affaire et confirmant la décision d'Innocent II (G.C. id.).

Les possessions de l'abbaye.

La soumission à Psalmodi ne semble pas avoir affecté gravement l'essor de l'abbaye de Joncels. Il apparaît bien qu'après la restauration du monastère par saint Fulcran, aux alentours de 980, c'est une ère de prospérité spirituelle et matérielle qui s'ouvrit pour notre monastère. En l'absence de cartulaire, nous ne savons pas comment se constitua son riche patrimoine, mais par la bulle de 1135 du pape Innocent II nous en touchons du doigt l'importance, encore que ce document n'évoque qu'un aspect des propriétés de l'abbaye, les possessions d'églises; mais il faudrait y joindre les seigneuries et les propriétés foncières qui nous sont mal connues faute de documents.

C'est à la demande de l'abbé Béranger, sans doute le plus illustre des abbés de Joncels, que le pape prit sous la protection du Saint Siège le monastère et ses possessions comme l'avaient déjà fait ses prédécesseurs Grégoire VII (1073-1085) et Pascal 11(1099-1118). Et d'énumérer alors les nombreuses églises dépendant de Joncels; et qui dit église, dit par là même les biens et les revenus y afférant et tout particulièrement les dîmes, revenu sûr et de loin le plus important. Voici donc la liste de ces églises, dont la plupart étaient situées dans le diocèse de Béziers, comme l'abbaye, et groupées autour d'elle dans le bassin supérieur de l'Orb et de ses affluents:

Au diocèse de Béziers:cloche

Saint-Félix, église paroissiale du village de Joncels.
Saint -Michel et Saint-Saturnin dont nous ignorons tout.
Saint-Jean-Baptiste de Ceilhes.

Saint-Pierre de Rouvignac (Avène).
Saint-Martin d'Avène.
Sainte-Marie d'Autignaguet (Roqueredonde).
Saint-Dalmas de Tieudas (Roqueredonde).
Saint-Sauveur de Roqueredonde (église du Castrum).
Saint-Nicolas (Lunas).
Saint-Saturnin de Caunas (Lunas).
Saint- Barthélémi d'Arnoye (Avène).
Saint-Julien de Féline (Lunas).
Saint-Pierre de Transiliac (Lunas).
Sainte-Marie de Nize (Lunas).
Saint-Etienne de Dio Saint-Cyr de Bezat (Saint-Xist).
Sainte-Marie de Frangouilie ((Saint-Xist).
Saint-Pierre de Brousson (Saint-Xist)
Saint-Sauveur du Puy (Camplong).
Sainte Suzanne de Barzac (Puimisson).

Au diocèse de Rodez:

Saint-Martin de Canais.
Saint-Julien de Moulès.
Saint-Christophe de Druihe
Sainte-Marie de Tauriac.

Au diocèse d'Agde:

Sainte-Marie de Nadailhan (Saint-Thibérv).
Sainte-Cécile de Loupian.

Au diocèse de Lodève:

Sainte-Marie de Prunet (Le Cros).

Soit en tout 28 églises. Pour la plupart de ces églises, en l'absence de cartulaire, nous ignorons à quelle date et dans quelles circonstances elles sont devenues la propriété de l'abbaye de Joncels; cependant, grâce à un certain nombre de documents provenant d'autres sources, nous avons des renseignements sur quelques-unes d'entre elles.

Saint-Etienne de Dio fut donnée à l'abbaye par saint Fulcran; on lit dans son testament (987) : "l'église Saint-Etienne du village de Dio, je la donne à Dieu et à Sainl-Pieire de Joncels " (G.C. VI, instr. col. 272)

Sainte-Cécile de Loupian lui fut accordée par le couple seigneurial Bérenger-Guillaume et Lupiana en 1076, époque ou les laïques commençaient à restituer les biens d'Eglise usurpés (G.C. VI, col.399).

Saint-Martin de Canais, disputée à Joncels par l'abbaye de Conques, lui fut définitivement attribuée lors d'un plaid tenu au Caylar sous la présidence de Pierre Raymond, évêque de Lodève, en 1122 (G.C. VI, instr, col.277).

Sainte Marie de Prunet (com. Le Cros) fut abandonnée en 1210 à l'évêque de Lodève contre une rente annuelle de 45 setiers de bon froment à livrer chaque année à l'abbaye pour la Saint-Michel (inv. Briç. fol. 8-9 et 106).

Sainte -Marie de Nadailhan fut cédée en 1204 à l'abbaye de Saint-Thibéry, dont elle était toute proche, contre une rente annuelle de quatre muids et demi de blé (G.C. VI, col. 400).

Dans ces deux cas nous voyons l'abbaye se dessaisir d'églises relativement éloignées de son aire d'implantation au profit de rentes consistant en fourniture de blé dont elle devait manquer, le territoire montagneux et souvent aride sur lequel elle étendait sa souveraineté n'étant guère propice à cette culture.

Conflits avec l'évêque de Béziers.

L'abbaye de Joncels, désormais libre de toute sujétion, poursuivit tranquillement son existence. La Gallia Christiana nous montre ses abbés participant à diverses assemblées pour régler les questions ou les conflits qui surgissent de ci, de là entre les institutions et les dignitaires ecclésiastiques: à la vérité, rien de bien saillant dans tout cela.

Cependant, deux affaires concernant l'élection et la bénédiction de l'abbé nous retiendront, car elles ont donné lieu à des documents officiels qui, par je ne sais quel hasard, sont les seuls textes parvenus jusqu'à nous pour cette longue période. Toutes deux se rapportent au privilège fort recherché par les monastères, celui de l'exemption de l'autorité épiscopale. Aucun des monastères du diocèse de Béziers n'en jouissait au Moyen- Age et n'en jouiront par la suite, mais au XIIe siècle ils essayèrent de l'acquérir: les démêlés des abbés de Joncels avec les évêques de Béziers en sont témoins.

En 1174, Déodat de Clermont, de la famille seigneuriale de Clermont-l'Hérault, fut élu abbé par les moines de Joncels. Selon la règle liturgique, il devait recevoir la bénédiction abbatiale des mains de l'évêque diocésain, en l'occurrence celui de Béziers. Mais ce dernier refusa de reconnaître l'élection comme entachée d'irrégularité parce que l'autorité épiscopale avait été négligée. Pour bien comprendre cette affaire, il faut se rappeler que l'abbaye de Joncels, comme d'ailleurs toutes les maisons religieuses du diocèse de Béziers, était soumise à l'autorité de l'évêque: une élection ne pouvait se faire sans son accord. Or il semble que l'on ait procédé à l'élection de Déodat de Clermont sans en référer à l'évêque. Une bulle du pape Adrien IV, des environs de l'an 1155, est révélatrice à ce sujet: elle est adressée aux abbés du diocèse de Béziers pour les inviter au respect et à l'obéissance envers leur évêque, le pape n'hésitant pas à les menacer de sanctions canoniques s'ils n'obtempéraient pas (G.C. VI, instr. col. 138). Il fallut attendre six ans environ pour parvenir à une solution satisfaisante. L'archevêque de Narbonne, assisté de dignitaires ecclésiastiques et en présence du cardinal Hyacinthe, légat du pape, réussit à réconcilier l'évêque et l'abbé: ce dernier promit révérence et obéissance à son supérieur; moyennant quoi, au cours d'une cérémonie très solennelle en la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers l'évêque Bernard Gaucelin conféra la bénédiction abbatiale à Déodat de Clermont (G.C. VI, instr. 141-142).

Une affaire semblable se produisit un siècle environ plus tard pour l'élection et la bénédiction de l'abbé Jourdain de Montpaon. Il semble que cette élection n'a pas fait l'unanimité au sein de la communauté monastique elle-même. La cause fut portée à Rome, et le pape Alexandre IV, par une bulle de 1258, invita les moines de Joncels à recevoir et à donner leur confiance au nouvel élu qui, selon les renseignements qui étaient parvenus au Saint-Siège, était un homme digne de confiance. Par une autre bulle datée du même jour (18 octobre), le pape demandait à l'évêque de Béziers de bien vouloir lui conférer la bénédiction abbatiale, l'avertissant que s'il refusait, il donnait pouvoir à l'évêque de Rodez de procéder à la cérémonie; la Gallia Christiana reproduit également le texte de cette bulle, datée elle aussi du. 18 octobre. Nous trouvons enfin dans le même recueil une quatrième bulle, beaucoup plus circonstanciée, adressée celle-là à Jourdain de Montpaon lui-même: c'est elle qui nous donne la clef de cette affaire. Jourdain de Montpaon, moine de Joncels, a été élu régulièrement (canonice) par la communauté monastique. Mais le nouvel élu, prétendant que son abbaye était exempte de l'autorité épiscopale en vertu de privilèges accordés par le Saint-Siège, refusa de notifier son élection à l'évêque diocésain pour confirmation: c'est le motif du refus invoqué par ce dernier, de conférer la bénédiction abbatiale au nouvel élu.

L'affaire ayant été portée devant le Siège Apostolique, le pape déclare à l'abbé qu'après une enquête sérieuse, il n'a pas trouvé dans les archives du Saint-Siège la concession du privilège de l'exemption à son abbaye, et en conséquence il lui enjoint de se soumettre à l'autorité épiscopale, lui et sa communauté. Finalement, c'est l'évêque de Rodez qui conféra la bénédiction abbatiale à Jourdam de Montpaon, l'évêque de Béziers n'ayant pas pu ou plutôt n'ayant pas voulu le faire: c'est une lettre du premier qui nous l'apprend. Un acte de 1266 nous montre que par la suite, Jourdain de Montpaon fut en possession paisible de sa charge (Pour toute cette affaire, voir G.C. VI, insir. col.156-159).

HISTORIQUE DE L'ABBAYE DE JONCELSjoncels cloche
Deuxième partie: 14e au 18e siècle

 

Dans la première partie de cette étude, je disais qu'un tout petit nombre de documents concernant cette abbaye étaient parvenus jusqu'à nous, ce qui est toujours la vérité; mais depuis, j'ai eu connaissance d'un certain nombre de pièces conservées aux Archives Départementales de l'Hérault, qui avaient échappé à mes investigations. Il est vrai qu'elles ne figurent pas dans l'inventaire de la série H (clergé régulier) où l'on s'attendrait à les trouver, mais dans celui de la série G (clergé séculier). La raison en est que l'abbaye de Joncels fut sécularisée au XVIIIe siècle et que les rares documents qui ont échappé à la destruction de ses archives en 1792 figurent sous la rubrique "chapitre séculier de Joncels (G 3843-3844). On y trouve quelques autres pièces dans le fonds de l'évêché (G 517 et 523) et de l'officialité de Béziers (G 3673).

Tous ces documents sont du XVIIIe siècle et la plupart concernent cette période, mal connue jusque là. Mais il existe un registre, qui est un inventaire sommaire des archives conservées dans le chartrier du monastère, dressé en 1732, avec des appendices plus récents allant jusqu'à l'année 1756, comportant en tout 353 numéros. Il est dommage que l'analyse des actes se réduise pratiquement au seul titre porté selon l'usage sur le dos de l'acte, et ne soit pas une véritable analyse du document. En voici un exemple type: "Donnation de plusieurs masages faite en faveur du Seigneur abbé de Joncels de l'année mil cent septante neuf, en parchemin." C'est certainement un acte intéressant: quels étaient ces masages, voilà ce qu'il eut été important de savoir.

En ce qui concerne la première partie de mon étude, ces documents n'apportent rien de nouveau. Par contre, la reproduction de deux chartes de 1159 et 1203 m'a été communiquée par M. Pierre Sénégas qui les avait trouvées dans l'ouvrage intitulé Histoire du Grand Prieuré de Toulouse de DU BOURG: je tiens à lui exprimer ici toute ma gratitude. Ces textes concernent le domaine de Prugnes (commune de Camarès dans le sud Aveyron) qui était une dépendance de la commanderie de Saint-Félix de Sorgues, de l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Dans l'acte de 1159, Bernard I, abbé de Joncels, fait abandon à la commanderie de Saint-Félix des possessions de son monastère à Prugnes contre le versement d'une redevance annuelle en nature: voici l'analyse qu'en donne l'Inventaire des Archives de Joncels de 1732, pour une fois un peu plus prolixe que d'habitude: Transaction ou bail à phief fait par le Seigneur abbé de Jaussels à Lopital de prunas de Lordre de St Jean de Jérusalem en franc alleu des Mas de Mandolegnas, Rodeyras, Villenove pour raison de quoy le Commandeur dudy prunas et de St Feux promet de payer annuellement aud. Seigr. abbé doutze cestiers fromant doutze cestiers aumoune (mot mal lu: le texte original porte "annone" qui était un mélange de blé et de seigle destiné à faire le pain) et huit cestiers avoine mesure de Besiers porté et prandeu à la porte du monastère, de l'année mil cent cinquante neuf, en parchemin. Dans l'acte de 1203, Bernard de Magalas, abbé de Joncels, abandonne au commandeur de Saint-Félix tous les revenus que son monastère retirait du terroir de Prugnes pour la somme de 110 sols melgoriens: désormais le commandeur n'aurait plus à fournir ce qui avait été convenu dans la première transaction.

La période allant du XIVe siècle à la fin du XVIIIe (1790 exactement), date de la suppression de l'abbaye, est pour notre monastère, comme d'ailleurs pour l'ensemble des monastères français, un temps de décadence irréversible qui, lentement, l'acheminera vers la mort.

Relâchement des observances.

Le 28 mai 1321, Guillaume Frédol, évêque de Béziers et, à ce titre, supérieur religieux du monastère, promulguait, à la demande du pape Jean XXII, des statuts de réformation visant tant l'abbé que les moines de Joncels. L'analyse de ce texte nous permettra de mesurer l'étendue des désordres qui s'étaient introduits dans l'abbaye.

Auparavant, Guillaume Frédol, conformément aux ordres qu'il avait reçus du pape sous forme de bulle à lui adressée, s'était rendu à Joncels assisté de différents personnages ecclésiastiques, dont l'archiprêtre de Boussagues responsable de la circonscription ecclésiastique dans laquelle se trouvait Joncels, et deux moines bénédictins des abbayes d'Aniane et de Villemagne. Ayant réuni la communauté dans la salle du chapitre, il interrogea l'abbé et chaque moine sur la manière dont on observait la règle et sur les abus qui s'étaient introduits dans le monastère: nous voyons ainsi dé filer toute la communauté, de l'abbé au dernier des moines, ce qui est assez rare dans les documents qui nous sont parvenus du Moyen-Age; aussi je n'hésite pas à en reproduire la liste. Voici d'abord Jean de Gombaud, l'abbé, puis Gailhard Matfred et Bernard de Sénégra mentionnés sans autre déail, ce qui ne nous permet pas de savoir quelle place ils avaient dans la communauté; R. Jourdan prieur claustral, Bérenger d'Esparon prieur de CanaIs, Arnaud de Masaurino prieur de Notre-Dame de Nize, Raimond de Roquefixe procureur de l'abbé, R. Auger ouvrier, Guibert de Montpaon prieur de Sainte Suzanne de Barzac (commune de Puissalicon), Bertrand de Saint-Privat camérier, Guilhem Cambon sacriste, Sicard Ychozi prieur de Ceilhes, Pierre de Montdidier trésorier, Pierre de Bisono prieur de Notre-Dame d'Autignaguet, Gaubert de Mandanoto, Aymeri du Pont, Pons Aremari, Brando Echeri frère moine sacristain. En tout dix-huit moines. Ce n'est pas un nombre important, mais il ne doit pas surprendre. Il y avait beaucoup de monastères au Moyen-Age, et à part quelques grandes abbayes, la plupart ne regroupaient qu'un nombre restreint de religieux. A Villemagne au début du XIIIe siècle la communauté comptait une vingtaine de moines; à Saint-Sauveur de Lodève, saint Fulcran, le fondateur, avait établi que la communauté compterait douze moines. Quant aux noms de ces moines ils sont révélateurs du recrutement qui se faisait en grande partie dans les grandes fami

Voici résumés les statuts de réformation de l'évêque de Béziers:

o L'office divin doit être chanté, de jour comme de nuit, aux heures correspondantes et avec ampleur, par tous les moines sans exception, sauf ceux qui seraient empêchés par la maladie ou qui auraient obtenu une dispense du supérieur.
o Les moines doivent obéir avec humilité à l'abbé, conformément à la règle de saint Benoit: il est très dommageable pour un moine de suivre sa volonté propre à la place de celle de celui qui a été établi par Dieu lui-même au-dessus de lui.
o Un moine ne doit pas quitter l'enceinte du monastère, de jour comme de nuit, sans la permission du supérieur. Il est absolument interdit de loger dans les maisons du bourg, à moins que l'abbé n'en ait donné la permission pour une juste cause: dans ce cas, un compagnon devra être adjoint à celui qui aurait obtenu cette permission.
o Les ornements et livres liturgiques, ainsi que les toitures de l'église et du chapitre doivent être gardés en bon état par le moine sacriste. Chaque année un inventaire des objets du culte doit être dressé par le prieur claustral assisté de quatre ou six des moines les plus anciens.
o Le sacriste doit veiller au luminaire de l'église et du monastère, et aussi fournir l'huile nécessaire à la préparation des poissons et des oeufs aux temps de l'Avent et du Carême et les vendredis de l'année.
o L'infirmier doit prendre un soin particulier des malades et des infirmes, veiller à ce qu'ils ne manquent de rien, et payer de ses propres revenus les visites du médecin.
o L'économe fera réparer les vitraux cassés de l'église. Il est également tenu d'entretenir en bon état la bâtisse de l'église, le clocher et les cloches.
o L'ouvrier devra veiller aux toitures du cloître et entretenir une lampe allumée au dortoir, selon l'habitude. Il s'occupera aussi de tenir en parfait état de propreté les latrines du monastère.
o La camérier prendra soin de fournir aux moines les vêtements nécessaires conformément aux habitudes observées jusqu'ici.
o C'est à l'abbé qu'il appartient d'entretenir et de faire réparer, voire reconstruire, le réfectoire, le dortoir et tous les autres bâtiments du monastère, sans oublier les fortifications et les clôtures. Il doit maintenir et défendre les droits et les privilèges de l'abbaye, vendre ou acheter des biens ou des animaux (bovins, ovins ou caprins) selon les besoins du monastère.
o L'hospitalité et l'aumône seront assurées aux passants et aux pauvres comme cela se faisait auparavant.
o Les femmes, jeunes ou de mauvaise réputation, ne seront pas admises à l'intérieur du monastère, à l'exception de l'église où elles pourront se mêler au peuple pour la célébration de l'office divin.
o L'abbé sera toujours assisté d'un ou de plusieurs compagnons de bonnes moeurs, soit dans son logis, soit dans ses déplacements. Qu'il évite de s'entretenir avec des femmes suspectes et de recevoir des hommes de mauvaise réputation. Qu'il se garde du luxe et des dépenses inconsidérées.
o Comme le manque de nourriture suffisante a été une cause importante du relâchement dans le monastère, l'évêque ordonne au cellerier de fournir à l'avenir des repas et des pitances convenables: le prieur claustral et deux moines parmi les plus anciens veilleront à ce que les réserves de nourriture soient suffisantes.
o L'évêque met en garde contre le danger renaissant de la simonie dans la collation des bénéfices, le monastère ayant mauvaise réputation à cet égard: il menace les coupables de la peine de l'excommunication.
o Enfin, il ordonne que chaque année, le lundi ou le mardi de la Semaine Sainte, l'abbé ou son remplaçant sera tenu de lire ces statuts afin que nul ne les ignore.

Comme on le voit, le relâchement s'était introduit dans tous les domaines; c'est pourquoi l'évêque n'épargne personne, ni l'abbé ni les officiers, qui tous sont rappelés à leurs responsabilités pour la bonne marche de la communauté. Il aurait été intéressant de savoir comment ces statuts furent reçus et mis en pratique: malheureusement nous n'avons aucun indice à ce sujet.

Trois événements allant dans le même sens?

Est-ce le relèvement de la discipline monastique qui a été visé par les trois décisions du Saint-Siège dans le cours du XIVe siècle? Il semble bien.

Les deux premiers sont de même nature; il s'agit de la nomination d'un abbé à la tête de la communauté par ordre exprès du pape. Normalement, selon la règle de saint Benoit, le remplacement de l'abbé défunt ou démissionnaire se fait par voie d'élection. Il faut une raison grave pour que l'autorité du Saint-Siège se substitue au pouvoir reconnu à la communauté de se donner un chef. Cette raison grave ne serait-elle pas le fait que la réforme prescrite en 1321 rencontrait de la négligence pour ne pas dire de l'opposition de la part de l'abbé? Jean de Gombaud, qui, nous l'avons vu, n'a pas été épargné par l'évêque de Béziers, indice semble-t-il de sa responsabilité prépondérante dans le relâchement constaté dans la vie du monastère, n'a sans doute pas réussi à rétablir l'ordre. A sa mort, le pape Jean XXII, celui-là même qui avait ordonné l'enquête et les décisions de 1221, nomma comme abbé Jean de Johannis. Il appartenait à une noble famille de la région et peut-être à l'abbaye d'Aniane, comme on peut l'inférer de "l'éloge" de cette abbaye qu'il composa à la demande de son neveu Jean Boileau, moine et sacriste d'Aniane. C'était un personnage très instruit, docteur "in utroque jure' droit canonique et droit civil: il composa deux ouvrages, l'un sur les règles du droit dans les lettres papales et l'autre des commentaires des "décrétales' pontificales.

Le même fait se reproduisit en 1361: Innocent VI nomma directement à l'abbaye de Joncels Pierre de Roaix, moine de Joncels et prieur de Canais. Lui aussi était un personnage éminent qui occupa une place importante au sein du chapitre général des abbés bénédictins des provinces ecclésiastiques d'Auch, Narbonne et Toulouse, soit tout le sud-ouest de la France: il en fut le prési dent depuis 1362 jusqu'après 1368, date où il fut réélu à cette charge. Il semble que son action ait été efficace dans cette fonction, en particulier dans la répression des abus.

Le troisième événement évoqué est la décision du pape Urbain V de rattacher notre abbaye et un certain nombre d'autres du midi à la célèbre et puissante abbaye de Saint-Victor de Marseule. Urbain V, de la famille de Grimoard en Lozère, après des études à l'Université de Montpellier, était entré chez les bénédictins de Saint-Victor dans leur prieuré lozérien de Chirac. En 1361, il devenait abbé de Saint-Victor et l'année suivante le conclave l'élisait pape bien qu'il ne fut pas cardinal: c'était là reconnaître ses qualités et ses mérites. Il continua à vivre comme un moine, aussi ne soyons pas surpris s'il s'intéressa particulièrement à l'ordre monastique, surtout dans le domaine de la discipline et des études. Pour les moines de Saint-Victor il fonda à Montpellier le monastère Saint-Benoit afin que les jeunes moines puissent venir étudier aux écoles de la célèbre université; c'est aujourd'hui l'ensemble formé par la cathédrale et la faculté de médecine.

Notre abbaye retrouva-t-elle la ferveur? Nous ne le savons pas. Mais l'époque n'était pas favorable: des événements tragiques allaient survenir qui inaugureraient une longue période de désordres et de ruines qui allaient amener la fin de la vie monastique à Joncels.

Trois événements tragiques.

La longue période de guerre et de désordres (XIVe siècles), connue sous le nom de Guerre de Cent Ans, n'épargna pas notre région. Aux périodes d'accalmie, les troupes de merce naires qui n'étaient plus payées se répandaient dans le pays et se rendaient coupables de toutes sortes d'exactions. L'Histoire de Languedoc (T.9, p. 871) nous apprend que l'abbaye de Joncels tomba entre les mains des grandes compagnies qui dévastèrent le Languedoc sous le règne de Charles V. Le 19 décembre 1379 elle fut occupée et dévastée par Benoit Chapparel, les bâtards de Savoie, de Landorre et de Pérulle, chefs de compagnies et leurs soudards qui, avec Joncels, s'emparèrent également de Roqueredonde et de Cabrières dans la viguerie de Béziers. Il n'est pas besoin de beaucoup d'imagination pour se faire une idée de l'état dans lequel ils laissèrent les lieux lors qu'ils se retirèrent.

A la fin du XVe siècle un conflit d'un ordre différent apporta la dévastation sur les possessions de notre abbaye. Il s'agit d'une querelle, motivée par des questions d'intérêts temporels qui mirent aux prises les abbés de Villemagne et de Joncels. Leurs zones d'influence étaient limitrophes: la haute vallée de l'Orb et ses affluents pour Joncels, la moyenne vallée de l'Orb et celle de la Mare pour Villemagne. On comprend que les points de friction ne manquaient pas. L'abbaye de Villemagne avait alors pour abbé Antoine de Thézan, de l'ambitieuse et puissante maison des barons du Poujol et de Boussagues. Nous ne savons pas quel était l'objet du litige, mais Antoine de Thézan ne trouva rien de mieux pour le résoudre que d'envahir, à la tête de ses moines et de ses hommes de main, les terres de Joncels, de molester les habitants et de ravager les domaines. L'affaire fut portée devant le Parlement de Toulouse en 1481 et malgré les pressions exercées par la puissante famille de Thézan, Antoine fut condamné et décrété de prise de corps lui et ses partisans (1484). Nous ne savons pas comment se termina cette affaire, Antoine de Thézan étant mort avant que la sentence ne soit exécutée. La Gallia Christiana, qui rapporte le fait, déclare qu'aucun des deux abbés n'en sortit à son honneur, ce qui laisse entendre que tous les torts n'étaient pas du côté d'Antoine de Thézan. Ce qui est certain, c'est que notre monastère s'en trouva affaibli matériellement mais aussi atteint dans sa crédibilité.

Plus calamiteuse encore fut la situation du monastère lors des Guerres de Religion. Le seigneur voisin de Lunas, Claude de Narbonne, adhéra de bonne heure à la Réforme et fut pendant les troubles qui désolèrent le Languedoc un des plus vaillants "capitaines" des troupes huguenotes. Bien que nous n'ayons aucun renseignement précis à ce sujet, il ne fait aucun doute que l'abbaye de Joncels, comme tout le pays d'Orb et Mare tomba au pouvoir des soldats de Claude de Narbonne dès l'année 1562. Comme à Villemagne, le monastère fut saccagé et ses archives brûlées (Séguy, Faugères-en-Biterrois, p.35-75).

En 1586, lors de la guerre entre le duc de Joyeuse et le duc de Montmorency, l'Histoire de Languedoc nous apprend que Joyeuse "remit sous son autorité les lieux de Pépieux et la Livinière dans le Minervois, avec ceux de Ceilhes, la Valette et Joncels, dans les diocèses de Béziers et de Lodève, à la sollicitation de l'évêque de Lodève, qui avait pratiqué une intelligence dans sa ville épiscopale; mais le duc de Montmorency ayant été averti, prévint ses desseins, et les fit échouer" (Tome XI, p.752).

Comme on le voit, durant cette période troublée qui débuta en 1562 et ne se termina pratiquement qu'en 1622 avec l'affermissement du pouvoir royal en Languedoc, les villes et villages, châteaux et abbayes, étaient à la merci des armées rivales, qui les prenaient, les perdaient et les reprenaient au gré des événements et des alliances. Aux armées régulières, il faut ajouter les bandes de brigands et de pillards qui, semblables aux routiers des XIVe siècles parcouraient et ravageaient le pays (Faugères-en-Biterrois, p.55-56).

On comprend sans peine qu'après soixante années de troubles, notre abbaye se trouvait dans une situation critique. Nous n'avons pas la chance de posséder, comme pour l'abbaye de Gel lone, un compte-rendu de visite après les troubles; nul doute qu'il eut été éloquent. Cependant, un document de 1746, évoquant cette époque tragique déclare: "le fait est constant que le monastère a été ruiné dans le temps des guerres de religion par la fureur des hérétiques", ce qui a entraîné la dis persion des moines dans les maisons du village. Il fallut attendre l'abbatiat de Jean-Joseph de Massihan (1710-1737), soit un siècle environ, pour que l'abbaye soit restaurée et que les moines aient la possibilité de reprendre la vie commune. C'est ce que nous apprend ce même document qui évoque l'action en justice engagée par les moines contre l'abbé commendataire Joseph-Gabriel de Thézan qui fut condamné en 1687 par le Parlement de Grenoble à reconstruire 'la bibliothèque, les logements des religieux, la cuisine et le réfectoire et généralement tous les lieux réguliers et tout ce qui était nécessaire pour qu'ils vivent dans la clôture et à une table commune" (Arch. Dép. G 3673). Mais cette restauration intervint trop tard: les mauvaises habitudes étaient prises; il fut impossible de rétablir la vie monastique, l'abbaye de Joncels avait vécu.

Les abbés commendataires.

Les guerres et les troubles politiques et religieux ne furent pas les seules causes de I'affaiblissement de la discipline monastique: l'introduction dans les abbayes du régime de la commende y contribua pour une large part.

La guerre de Cent Ans avait considérablement affaibli le pouvoir royal en France. Charles VII victorieux oeuvra avec ténacité à lui redonner tout son lustre et toute son autorité. Le roi avait besoin de s'attacher les élites du pays et de maintenir dans l'obéissance les grandes familles ambitieuses et turbulentes. L'argent et les faveurs, il le savait bien, sont d'un puissant secours en ce domaine. En 1438, un des articles de la Pragmatique Sanction de Bourges réservait au roi de France la nomination à tous les bénéfices ecclésiastiques majeurs, évêchés et abbayes, du royaume. Le pape eut beau protester, le roi ne revint pas sur sa décision et ses successeurs firent de même: en 1515, le Concordat de Bologne mettait fin au conflit: le pape reconnaissait au roi de France ce droit comme un privilège. Cette situation devait durer jusqu'à la Révolution Française.

En 1454, Guillaume d'Estouviule, cardinal, archevêque de Rouen, évêque de Lodève et détenteur de bien d'autres bénéfices, reçut de Charles VII la commende de l'abbaye de Joncels. C'est un exemple type de ces abbés commendataires, ecclésiatiques appartenent à de grandes familles, occupant des charges importantes dans l'Eglise et dans l'Etat, pour lesquels la possession d'une abbaye ne représentait qu'une augmentation de revenus. Ils ne résidaient pas habituellement, ce qui était préférable pour la communauté monastique, leur présence étant une gêne et parfois un mauvais exemple, car ils ne se sentaient pas du tout liés par les observances monastiques qui leur étaient étrangères et ils faisaient figure de perturbateurs avec leur suite nombreuse et bruyante. Désormais, malgré quelques tentatives des moines, vouées à l'échec, pour élire un abbé régulier, tous les abbés de Joncels jusqu'à la Révolution, seront des abbés commendataires.

La conséquence la plus grave de cet état de choses fut la division des biens du monastère en deux parts, l'une dite "mense abbatiale" comprenant les biens attribués à l'abbé, l'autre dite "mense capitulaire" comprenant les biens dévolus à la communauté ou "chapitre" des moines. Aucun acte ne nous est parvenu concernant cette division des biens; chaque partie s'occupait de gérer son patrimoine. Cependant, comme il était bien difficile de déterminer exactement ce qui revenait à chacun et quelles étaient les charges réciproques, de nombreux conflits surgissaient entre les deux parties, ce qui entretenait souvent de l'animosité: nous évoquerons plus loin le long conflit qui opposera la communauté à l'abbé commendataire Joseph-Gabriel de Thézan pour la remise en état des bâtiments après les guerres de religion.

Il est bien certain que cette division des biens et par conséquent des revenus, réduisit considérablement les ressources de la communauté: dès lors, on fut amené à ne plus accepter qu'un nombre déterminé de moines, en fonction des revenus dont disposait la "mense capitulaire". Après les guerres de religion, qui avaient amené une diminution notable des possessions de l'abbaye, soit parce qu'il avait fallu en aliéner une partie, soit parce que, à la faveur des troubles, certains voisins puissants s'en étaient emparés, une convention fut établie qui réduisit le nombre des moines à dix. La mense capitulaire fut à son tour divisée de telle sorte que chaque moine ait à sa disposition les biens suffisants pour vivre. Arrivés à ce stade, peut-on encore parler de moines? En fait l'abbaye était réduite à la juxtaposition de dix personnes, qui n'avaient de moine que le nom, et qui étaient plus préoccupées de la gestion de leur patrimoine que de la recherche de la perfection religieuse: l'abbaye était mûre pour la sécularisation.

Deux des abbés commendataires méritent que nous nous y arrêtions quelque peu: à eux seuls ils ont occupé le titre pendant près d'un siècle. Il s'agit d'Henri de Thésan (1597-1645) et de Joseph-Gabriel de Thésan (1645-1686).

La famille de Thésan du Poujol tenait une place prépondérante dans la noblesse du pays d'Orb et Mare. Etablie dès le Xe siècle dans le bourg de Thézan, proche de Béziers, elle se scinda en plusieurs branches dont celle du Poujol. Pons Hi, seigneur de Thézan, épousa au début du XlIIe siècle Garsinde du Poujol: leur fils cadet, Guillaume, hérita des biens de sa mère et fut à l'origine de la branche de Thésan-Poujol. Au XIVC siècle, la puissante baronnie de Boussagues entrera par héritage dans les possessions de la famille. Lors des guerres du XVIe siècle la famille de Thésan-Poujol Boussagues, demeurée catholique, sera l'adversaire de la famille de Narbonne-Faugères-Lunas devenue protestante. Les Thésan se considéraient comme les défenseurs de la cause catholique dans la région et, la tourmente passée, ils estimèrent qu'en raison de leurs services, la commende des deux abbayes qui se partageaient la prépondérance de la région leur revenait de droit: leurs rejetons voués à la cléricature en furent successivement les abbés commendataires tout au long du XVIIe siècle.

Henri de Thésan était chanoine de Saint-Pons de Thomières lorsqu'il fut nommé abbé commendataire de Joncels en 1597. Le 19 septembre 1616, les chanoines de Saint-Pons lui confièrent la dignité de Grand-Archidiacre de cette église. En plus de ces deux "bénéfices" il posséda la commende de l'abbaye de Villemagne de 1617 à 1626. En 1645, en raison de son âge, il démissionna de l'Archidiaconat de Saint-Pons et de l'abbatiat de Joncels en faveur de son neveu Joseph-Gabriel de Thésan. Il mourut à Bédarieux le 11 avril 1660 et, selon son désir, son corps fut porté le lendemain à l'abbaye de Joncels pour y être inhumé. Par son testament du 19 décembre 1658 il laissait à son abbaye une somme de 1500 livres pour la célébration annuelle de quatre services funèbres en sa faveur.

Joseph-Gabriel de Thésan, neveu du précédent, lui succéda dans les deux dignités d'archidiacre de Saint-Pons et d'abbé de Joncels, en 1645. Il devait occuper l'abbatiat jusqu'à sa mort, en 1686, ayant abandonné l'archidiaconat de Saint-Pons en 1669 en faveur de son neveu François-Gabriel de Thésan d'Olargues. Fisquet, l'auteur de la France Pontificale, fait de lui cet éloge: "Homme pieux et plein de générosité, il contribua à la restauration de diverses églises dépendantes du monastère. Très peu répandu au dehors, il consacra ses forces et ses talents à la bonne administration de son abbaye" (Diocèse de Montpellier, tome II, p. 251). Le Dr Brunel, dans son étude sur le château de Brousson, approuve en ces termes: "Cette appréciation nous paraît très juste par ce que nous de vinons de sa vie. Les actes notariés que nous avons pu consulter nous le montrent en effet excellent administrateur. D'autre part, ses bonnes oeuvres, ses legs, la construction de la chapelle du château nous découvrent un homme pieux" (Le passé de la Haute Vallée de l'Orb, 1989, p. 100). Je mettrai une sourdine à cet éloge en faisant tout d'abord remarquer que son zèle envers les églises ne s'exerça qu'envers celles qui dépendaient de la mense abbatiale et que le droit canonique l'obligeait à tenir en bon état puisqu'il en percevait les revenus, et en rappelant l'action en justice que durent sou tenir les moines contre lui pour le contraindre à faire les réparations qui lui incombaient aux bâtiments conventuels: ayant fait traîner la procédure autant qu'il lui fut possible, il mourut avant la décision finale du Parlement de Grenoble appelé à statuer en dernier ressort (1687). C'est en effet le 31 mai 1686 qu'il décéda: il fut inhumé contre le chevet de l'église Notre-Dame de Frangouille, dé pendant du prieuré de Saint-Xist dont il était titulaire.

Ces deux abbés, en plus de leurs bénéfices ecclésiastiques, étaient titulaires de la baronnie de Boussagues qui, nous l'avons dit, appartenait à leur famille. C'est à ce titre qu'ils firent reconstruire magnifiquement et habitèrent le château de la Tour de Brousson, abritant aujourd'hui les services municipaux de la Tour-sur-Orb. Ce séjour était plus agréable que celui du château féodal de Boussagues. Au coeur de leurs possessions, tant féodales qu'ecclésiastiques, ils y vécurent en aristocrates, surtout occupés à faire valoir leur patrimoine. Heureux pour l'Eglise et pour leurs sujets si leur vie fut honnête et pieuse.

Sécularisation de l'abbaye.

Nous l'avons déjà constaté, les moines de Joncels depuis que leur monastère avait été saccagé lors des guerres de religion, ne vivaient plus en commun dans l'enceinte du monastère, mais résidaient séparément dans les maisons du village: la vie et la discipline monastiques avaient disparu. Même s'ils n'étaient pas scandaleux -aucun texte ne les accuse de mener une vie dissipée, ils n'avaient plus de moines que le nom. Bien que les bâtiments aient été restaurés au commencement du XVIIIe siècle, il n'y avait pas chez eux la volonté de revenir à une authentique vie monastique. C'est ce qui détermina les autorités compétentes, l'évêque de Béziers et l'abbé commendataire, en accord avec la majeure partie des moines, à demander au pape la sécularisation de l'abbaye et sa transformation en chapitre de chanoines séculiers. Par une bulle datée du 21 mars 1745, le pape Benoit XIV déclarait l'abbaye de Joncels supprimée, les moines relevés de leurs voeux de religion, l'église abbatiale transformée en église collégiale et les anciens moines devenus chanoines séculiers.

Une lettre d'un moine, Dom Béral, qui déplorait cette décision, est révélatrice de cet état de choses, c'est pourquoi je n'hésite pas à la citer. Il commence par évoquer la situation du monastère telle que la bulle la décrit: "Je ne veux rien exagérer ny ajouter au portrait qu'en fait la Bulle même don j'emprunterai tous les traits. C'est une maison sans chef et sans supérieur dont les religieux vivent dispersés ça et là confondus avec les personnes du siècle, et dont la vie licencieuse et peu conforme à l'esprit de leur état est à plusieurs un sujet de scandale. Vivant hors du cloître parce que les logements et les lieux réguliers furent ruinés dans le temps des guerres de religion et qu'on n'a aucune ressource pour pouvoir les relever, et où enfin la discipline régulière étant entièrement éteinte il ne reste aucune lueur d'espérance de la voir rétablir". Il réfute ensuite chacune de ces allégations en affirmant que la vie des moines n'est pas licencieuse, que les bâtiments ont été remis en état, que l'office divin est célébré régulièrement mais il conclut que, cependant, on était loin d'observer les prescriptions de la règle et que, surtout, la volonté faisait défaut de se réformer.

C'est l'officiaI de l'évêché de Béziers qui avait été chargé de la fulmination de la bulle. Des résistances s'étant faites jour contre cette décision pontificale, la lettre de Dom Béral en est témoin ainsi que la protestation officielle de Dom Lacroix, bénédictin de la Congrégation de Saint Maur et titulaire du prieuré de Notre-Dame de Tauriac dépendant de l'abbaye, ce n'est qu'au mois d'août 1748 que l'official Mr de Trémouilhe procéda à l'enquête "de commodo et incommodo" prescrite par le droit canonique, et, seulement le 1er septembre 1750, que la décision pontificale fut promulguée: "Nous, official et commissaire apostolique...avons procédé et procédons par le présent décret à la fulmination de la Bulle de sécularisation des religieux de lad. abbaye et en conséquence à l'érection de l'église du monastère dud. Jaussels en Eglise Collégialle qui sera composée de l'abbé première dignité qui sera toujours à la nomination du roy. de la prévoté seconde dignité qui sera pa reillement à l'avenir à la nomination du roy, de la chantrerie troisième dignité et de sept canonicats sans que ce nombre puisse être diminué de manière que le service divin puisse être fait avec décence ".

Un des chanoines de Joncels a laissé son nom à la postérité: il s'agit de Jean-Antoine Guilleminet. La famille Guilleminet était établie à Montpellier dès le XVIe siècle. Une branche se développa à Lodève au XvIIIe siècle: c'est à cette branche que se rattache Jean-Antoine. Son père ayant été pourvu de la régie du sel et du tabac à Bédarieux, c'est dans ce bourg que naquit notre chanoine le 4 janvier 17 8. A l'âge de dix-neuf ans, il fut pourvu d'un canonicat au chapitre collégial de Joncels par la faveur de l'abbé commendataire, de Bon de Villevert, son parent. Il prit possession de son bénéfice le 11 février 1757 et le garda jusqu'aux premiers jours de 1767 puisque son succes seur fut installé le 12 février de cette année-là. Comme beaucoup d'écclésiastiques de ce temps, Jean-Antoine Guilleminet n'était que clerc tonsuré, mais nous pouvons penser que le séjour dans la solitude de Joncels lui permit de mûrir sa vocation.. Il quitta Joncels pour Paris où il fit ses études universitaires et théologiques et où il reçut les ordres: lors de sa réception à la maîtrise es-arts à l'université de Paris il est qualifié de "prêtre bénéficiaire de Béziers" (11 décembre 1777). En 1781, il s'affilia à la communauté des prêtres de la paroisse Saint-Roch de Paris où il exerça les fonctions de "prêtre des sacrements": il y fut remarqué par sa régularité et surtout par sa piété. Survinrent les événements de la Révolution Française: le 9 janvier 1791, jour où les membres du clergé parisien devaient prêter le serment constitutionnel, Jean-Antoine refusa et de ce fait il dut abandonner ses fonctions à Saint-Roch. Le 11 août 1792, lendemain de l'arrestation du roi, il fut lui-même arrêté avec un grand nombre de prêtres réfractaires considérés comme suspects et incarcéré dans l'église des Carmes, rue de Vaugirard.. C'est là qu'il fut massacré le 2 septembre avec 114 de ses compagnons. Ils ont été béatifiés le 17 octobre 1926 sous l'appellation "martyrs des Carmes ou de septembre".

Suppression du chapitre collégial.

Le chapitre séculier de Joncels ne devait pas avoir une longue existence. Dès l'année 1761, l'évêque de Béziers, Joseph-Bruno de Bausset de Roquefort, désireux d'établir un petit séminaire dans sa ville épiscopale, avait jeté son dévolu sur les biens du chapitre de Joncels comme susceptibles d'assurer un revenu fixe à ce nouvel établissement. En effet, selon la mentalité de l'époque et conformément aux règles canoniques, on ne pouvait faire une fondation nouvelle sans lui assurer des moyens d'existence stables: c'était le régime de la dotation.

Le chapitre de Joncels comptait neuf chanoines en sus de l'abbé qui n'avait qu'une fonction honorifique et lucrative. Ses membres, clercs séculiers, n'avaient pas d'autre raison d'être que d'assurer chaque jour la célébration de l'office divin dans l'ancienne église abbatiale. On comprend que des moines aient vécu à Joncels: le lieu était propice à la vie conventuelle à cause de sa solitude. Mais il en allait tout autrement pour des clercs séculiers; le séjour de Joncels n'avait rien d'agréable pour des gens qui n'étaient pas tenus à la vie commune et, qui plus est, étaient, par vocation, voués au service du peuple chrétien: ils étaient et devaient se sentir parfaitement inutiles. C'est ce que comprit aussi l'évêque de Béziers; les revenus du chapitre seraient plus utiles à l'entretien d'un petit séminaire destiné à l'éducation des futurs prêtres.

Par brevet du 10 janvier 1761, le roi permit à Mgr de Bausset de procéder aux démarches qui aboutiraient à la suppression du chapitre et à l'union de ses biens au petit séminaire de Béziers. Ce n'est, cependant, que le 1 novembre 1767 que fut signifié le décret épiscopal mettant un terme à la procédure. En effet, entre temps, les chanoines de Joncels avaient épuisé toutes les subtilités de la procédure afin d'obtenir des garanties: ils acceptaient volontiers la suppression de leur chapitre, mais ils exigeaient de conserver le montant de leur prébende jusqu'à leur mort, ce qui leur fut accordé.

Dès lors ce fut la dispersion. L'église abbatiale étant devenue inutile, un accord intervint entre l'abbé commendataire Louis-François de Bausset de Roquefort, évêque de Fréjus, et Aimard Claude de Nicolaï, évêque de Béziers, pour que le service de la paroisse de Joncels soit transféré de l'antique église Saint-Félix dans la plus spacieuse église abbatiale Saint-Pierre (1778 ). Une liasse de baux, conservée aux Archives Départementales, nous montre le trésorier de l'ex-chapitre baillant aux habitants de Joncels les maisons et les terres ayant appartenu aux anciens chanoines: c'était là un avant-goût de la liquidation totale qui allait advenir avec la Révolution Française.

Cependant le petit-séminaire de Béziers ne fut pas établi, mais le chapitre de Joncels restait supprimé: situation paradoxale. Et c'est là où il nous est possible de voir à quel point l'Ancien Régime était conservateur. Comme les revenus des prébendes n'avaient plus d'affectation précise, on continua de les attribuer à des ex-chanoines qui étaient renouvelés au fur et à mesure des vacances. Et c'est ainsi qu'au moment de la Révolution, il n'y avait plus de chapitre mais il y avait toujours des "chanoines". Le 17 janvier, le trésorier qui continuait de gérer les biens de l'ex-chapitre fit une déclaration des revenus conformément à la loi. La nation, ayant confisqué les biens du clergé, s'était cependant engagée à procurer aux ministres du culte un juste salaire: il fut donc décidé que les ex-chanoines de Joncels toucheraient jusqu'à leur mort les revenus afférents à leur ancien canoninat. Le directoire du département fixa leur pension annuelle à la somme de 699 livres 12 sols deniers (2 juillet 1791). Ces derniers consentirent à ce que la Nation disposât, à sa volonté, de tous les ornements d'église, argenterie et bibliothèque du monastère. Tout cela fut dispersé ou détruit ainsi que les archives en 1792. Au terme de près d'un millénaire d'existence, l'abbaye de Joncels avait vécu.

Bibliographie.

BIBLIOGRAPHIE.

Baluze: Capitulaires Royaux, Tome II.
Devic et Vaissette: Histoire de Languedoc; Edition Privat, tomes I et IV.
Segondy: Les églises de l'ancien diocèse de Béziers. Exemplaire dactylographié.
Archives de l'évêché de Montpellier.
Etudes sur l'Hérault, année 1988.
Gallia Christiana, tome VI.
Inventaire de Briçonnet, Archives Départementales de I'Hérault G 1050.
 

Manuscrits
Collection Doat, vol. 60, Bibliothèque Nationale, Paris.
Archives Départementales de l'Hérault:
G 617 et 52 suppression du chapitre de Joncels et réunion au petit-séminaire de Béziers (176 et 1769).
G 67 pièces concernant la sécularisation de l'abbaye de Joncels (1745-1750)
G 84 inventaire en original des titres, papiers, documents et chartes appartenant à l'abbaye de Joncels (17 2)
G 844 pièces diverses concernant l'abbaye de Joncels (1689-1781).

Imprimés
Brunel: Le passé de la haute vallée de l'Orb. Société Archéol. et Hist. des Hauts Cantons de l'Hérault, 1989.
Devic et Vaissette: Histoire de Languedoc, édition Privat, T.9 et 11.
Fisquet: La France Pontificale, Montpellier 2ème partie.
Gallia Christiana; tome VI.
Granier: Jean-Antoine Guilleminet, Montpellier, imp. Charité, 1918.
Pasquier et Olive: Le fonds Thésan aux archives du château de Léran. Montpellier, imp. Lauriol, 191.
Ségui: Faugères-en-Biterrois, Cahiers d'Histoire et d'Archéologie, T. VIII, 19
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Tous nos remerciements à l'Abbé Gérard Alzieu auteur de cet article, Roland Rottiers webmaster du site de l'Office de tourisme d'Avene www.avene.info
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